§ 2 : L'incidence du nouveau Règlement sur le contenu des contrats de franchise
Plusieurs dispositions du nouveau Règlement sont susceptibles d'alimenter l'insécurité juridique (1). Pour autant, l'effet positif da nouveau texte sur les contrats de distribution n'est pas négligeable (2).


1) Une certaine insécurité juridique

L'introduction du seuil en part de marché crée une certaine insécurité juridique dans la mesure où les entreprises n'ont pas toujours une connaissance exacte des contours du marché sur lequel elles opèrent, tant dans sa dimension géographique ou sectorielle que concernant la part de marché qu'elles détiennent.
Néanmoins, on peut considérer que cette disposition est peu nocive à la franchise car la très grande majorité des réseaux se situe en deçà du seuil de 30 % (hormis les hypothèses où un concept particulièrement innovant se développe dans un créneau de marché très étroit en l'absence d'autres opérateurs économiques).

On doit, toutefois, relever, en ce qui concerne les accords des entreprises dont la part de marché est inférieure à 10 %(cf. supra Section 2 a), j'incohérence du Règlement n° 2790/99 avec la Communication sur les accords d'importance mineure qui est flagrante et pour le moins surprenante. Alors que seule l'exclusivité territoriale absolue est interdite dans les accords entre entreprises dont la part de marché se situe entre 10 %et 30 %, aucune forme de protection territoriale n'est admissible pour les petits réseaux qui se placent en deçà de ce seuil.

Il y a fort à parier que beaucoup de franchiseurs - dans la distribution notamment - verront comme une aubaine, l'ambiguïté planant sur la licéité des clauses d'exclusivité territoriale. Nombreux sont ceux qui vont en profiter pour les renégocier, voire les supprimer ce qui est une bonne chose!

Par ailleurs, le Règlement vise, par «l’obligation de non-concurrence» en cours de contrat, non seulement l'obligation de ne pas vendre des biens et services en concurrence avec les biens et services contractuels, mais également toute obligation de réaliser auprès du fournisseur ou d'un tiers désigné par lui, plus de 80 % des achats annuels. On vise donc ici l'obligation d'approvisionnement exclusif et quasi-exclusif, fréquemment insérée dans les contrats de franchise.

Le nouveau Règlement exempte ces clauses à condition que leur durée n'excède pas 5 ans. Cette limitation de durée pourrait poser quelques problèmes en matière de franchise.
Tout d'abord, la durée moyenne des contrats de franchise est supérieure à 5 ans pour permettre au franchisé d'amortir les investissements spécifiques dont le montant est souvent très élevé. Ces mêmes investissements sont, dans leur grande majorité, financés par les banques sur des périodes supérieures à 5 ans (7 ans en général).

De nombreux concepts de franchise sont exploités dans des locaux commerciaux loués sur la base d'un bail commercial dont la durée est de 9 ans. La durée du contrat de franchise diffèrerait alors de la durée du bail ce qui manquerait de cohérence.
Néanmoins, la durée de tels accords ne pourra pas dépasser la période d'occupation des locaux par le distributeur.

L'obligation d'approvisionnement exclusif qui laisse au distributeur la liberté d'approvisionnement pour plus de 20 % des achats annuels n'est pas concernée par la limitation de la durée à 5 ans.
Les dispositions étudiées ci-dessus ont provoqué de vives réactions dans le monde de la franchise puisqu'elles remettaient en cause l'un de ses principes fondamentaux, à savoir l'uniformité et l'identité commune du réseau. Les lignes directrices dans leur point 200-2 ont levé toute ambiguïté et toute inquiétude quant à l'interprétation de cette disposition.
Une obligation de non-concurrence relative aux biens et services achetés par le franchisé ne relèvera pas de l'article 81, paragraphe 1du Traité de Rome, lorsqu'elle est nécessaire au maintien de l'identité commune et de la réputation du réseau de franchise. Dans de tels cas, la durée de l'obligation de non concurrence (et donc, d'approvisionnement exclusif) peut être supérieure à5 ans, sans, toutefois, excéder la durée de l'accord de franchise lui-même.
Sur ce point le nouveau régime communautaire rejoint la position de la jurisprudence selon laquelle la clause d'approvisionnement exclusif doit être justifiée par l'intérêt du réseau.




2) Un effet positif résultant de davantage de liberté contractuellea) Effet positif général

L'effet positif général du Règlement résulte, tout d'abord, d'une simplification considérable des règles applicables en matière d'exemption des ententes. Ainsi la notification préalable nécessaire à l'exemption des accords non conformes aux anciens règlements a-t-elle été supprimée pour tous les accords verticaux.
Un autre avantage de simplification résulte de l'absence de rétroactivité de la décision de retrait de bénéfice de l'exemption.
Le retrait de l'exemption ne produira ses effets que pour l'avenir, c'est-à-dire que toute la période antérieure au retrait bénéficiera de la présomption de licéité.

b) La possibilité de créer des contrats sui generis

La nouvelle politique d'exemption appliquée désormais par la Commission favorise le développement des accords sui generis, résultant notamment, de la combinaison de différents accord verticaux tels que la distribution sélective et la distribution exclusive, ou la distribution sélective et la non-concurrence, ou encore d'autres...
La liberté contractuelle retrouve ici toute sa dimension: il est maintenant possible de jouer au « lego » avec les accords de distribution en créant celui qui répond le mieux aux attentes des parties.
Le nouveau régime permet, alors, d'exempter les contrats de distribution dont la qualification juridique est, encore, incertaine.
En ce qui concerne les accords de franchise, leur exemption n'est plus subordonnée à l'existence d'un savoir-faire «substantiel, secret et identifié ». Cela signifie que, dans l'hypothèse où le contrat de franchise est requalifié par le juge en un autre contrat de distribution pour défaut de cet élément essentiel, le contrat continuera à bénéficier de l'exemption.
À l'inverse et conformément à la jurisprudence, dès lors que les éléments d'un contrat de franchise, tels que définis par la réglementation communautaire et la jurisprudence française, sont réunis dans un contrat mais que ce dernier est improprement dénommé « concession » par les parties, il appartient au juge de lui restituer son exacte qualification (36). Dorénavant, cette requalification judiciaire du contrat sera sans influence sur le régime communautaire d'exemption applicable.

c) Quant à l'approvisionnement exclusif

L'approvisionnement exclusif était couvert par le Règlement d'exemption applicable aux accords de franchise n° 4087/88 uniquement lorsqu'il n'était pas possible, en pratique, en raison de la nature des produits qui faisaient l'objet de la franchise, d'appliquer des spécifications de qualité objectives, et dans la mesure où le respect de ces obligations était nécessaire à la protection des droits de propriété industrielle ou intellectuelle du franchiseur ou pour maintenir l'identité commune et la réputation du réseau franchisé. La Commission avait adopté la même approche dans l'affaire Pronuptia: elle avait estimé que les conditions visées étaient remplies pour ce qui concerne les articles soumis à renouvellement fréquent.
Concernant les autres produits, l'approvisionnement exclusif ne répondait pas aux conditions prévues par le Règlement n° 4087/88. Il n'était pas pour autant automatiquement condamné. Il était alors possible de bénéficier d'une exemption individuelle si le franchiseur avait établi que la clause contribuait, pour ces produits, au développement du progrès économique (37).

Le nouveau texte communautaire semble être plus général car il ne comprend aucune précision quant à la nature des produits faisant l'objet d'un approvisionnement exclusif (dénommé l'accord de non-concurrence dans la nouvelle terminologie employée par la Commission), ni concernant le but dans lequel cette obligation peut être imposée au franchisé (38).
Or, l'article premier du Règlement n' 2790/99 stipule que «l'obligation de non-concurrence signifie... toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché pertinent... » (39).
Ne nous faisons, néanmoins, aucune illusion. Comme cela a déjà été évoqué, la plupart des réseaux de franchise relèvent de la Communication de minimis qui, elle, soumet ces réseaux à la compétence des juges nationaux qui statuent « sur la base et dans le cadre des seules législations nationales» (pt. 2). Or, la jurisprudence française est constate en la matière: la clause d'approvisionnement exclusif doit être justifiée pour des raisons d'uniformité du réseau et de préservation de son identité commune (40).


d) Autorisation des ventes actives et des ventes sur InternetLa majorité des contrats actuels de franchise accordent aux distributeurs une exclusivité territoriale afin de préserver l'efficacité des investissements spécifiques à la franchise. Le nouveau Règlement autorise de telles clauses à condition qu'il soit possible pour les franchisés, de s'approvisionner auprès des autres membres du réseau et de pratiquer les ventes actives en dehors du territoire exclusif. Cela veut dire que le franchiseur ne peut plus empêcher son franchisé de procéder au démarchage ni à des prospections actives en dehors de son territoire. Du fait de ce nouveau dispositif le franchisé n'est plus enfermé à l'intérieur de la zone concédée et peut déployer légitimement ses efforts pour attirer davantage de clientèle.

Toutefois, il est toujours possible d'interdire à un franchisé de pratiquer les ventes actives sur le territoire exclusif accordé contractuellement à un autre membre du réseau, et ce pendant toute la durée du contrat. Cependant, les ventes passives doivent rester libres.

À propos de l'utilisation d'Internet, la Commission a précisé dans la première version des Lignes directrices sur les restrictions verticales que « l'utilisation d'Internet à des-fins publicitaires ou de vente de produits est en général considérée comme une forme de vente passive, dans la mesure où un site n'est pas clairement conçu de manière à atteindre en premier lieu des clients se trouvant à l'intérieur d'un territoire ou d'un groupe de clientèle exclusivement concédé à un (des) autre(s) distributeur(s), par exemple, en utilisant des bandeaux publicitaires ou des liens dans des pages visant spécifiquement la clientèle concédée. En revanche, un message non sollicité transmis par courrier électronique à des clients individuels est considéré comme vente active ».

Le point 51 des Lignes directrices précise que chaque distributeur doit être libre de recourir à Internet pour faire de la publicité ou pour vendre des produits.
Une restriction à l'utilisation d'Internet par les distributeurs ne peut être acceptable que dans la mesure où la promotion ou la vente par Internet conduirait à une vente active sur le territoire exclusif accordé à d'autres distributeurs du réseau.
La Commission considère donc qu'en général, le recours à l'Internet ne constitue pas une forme de vente active vers les territoires ou clientèles exclusifs car c'est un moyen raisonnable d'atteindre tous les clients. Le fait qu'il puisse y avoir des effets en dehors du territoire ou de la clientèle affectés à un distributeur est le résultat de cette technique, à savoir un accès facile à partir de n'importe quel lieu. Si un client visite sur Internet le site d'un distributeur, prend contact avec ce dernier et si le contact débouche sur une vente, ainsi qu'une livraison, il s'agit là d'une vente passive.
En revanche, un message non sollicité, transmis par courrier électronique à des clients individuels ou à un groupe de clientèle déterminé, est considéré comme une vente active.
Si le Règlement avait pu faire craindre une petite révolution dans le monde de la Franchise, les lignes directrices sont venues conforter les opérateurs concernés dans leurs pratiques.
Gageons que les autorités et juridictions nationales les appliqueront sans états d'âme


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(36) CA Pau, 14 nov. 1991. JPC id. G, 1992, IV, nt) 1919. p. 209.
(37) Voir aussi : O. Zakharova-Renaud «Exemption des accords de franchise à la lumière du nouveau Règlement du 22/12/99 », mémoire de DEA. Université Paris X.
(38)
(39) Art. 1b du Règlement du 22 décembre 1999. précité.
(40) Cons. conc., 6juill. 1999. déc. N°99-D-49, Yves Rocher. Pet. aff. 20 oct.
1999 : Cons. conc.. 28 mai 1996. déc. n° 96-D-36. Zannîer. BOCCRF 20 août 1996 ;
Cass. com.. 10 janv. 1995, M. Daubresse c/ Société Phildar. D. 1997. somm. p. 58. obs. Ferrier.
Gast O., L'affaire Phildar, ou le nouveau régime d'approvisionnement exclusif. D. aff. N° 6. 1997. p. 172.
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