L'assimilation des fautes contractuelle et délictuelle : la fin d'un long débat doctrinal et jurisprudentiel.





Dans cette affaire, les consorts X... ont donné à bail un immeuble commercial à la société Myr’Ho qui à son tour a confié la gérance du fond de commerce à la société Boot shop. Le bailleur, pendant la durée du contrat de bail, manque à ses obligations d’entretien des locaux, notamment les accès à l’immeuble loué n’étaient pas entretenus, le portail d’entrée était condamné, le monte-charge ne fonctionnait pas. La société Boot shop, imputant au bailleur un défaut d’entretien des locaux, l’assigne devant le juge des référés pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d’une indemnité provisionnelle en réparation d’un préjudice d’exploitation.

Or, dans le cas présent, la société Boot shop, étant un tiers au contrat de bail, ne peut pas logiquement assigner le bailleur en responsabilité sur le fondement d’une faute contractuelle. Le principe de l’effet relatif des conventions énoncé dans l’article 1165 du code civil est clair.

« Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121. »

Le problème qui se pose donc devant le juge est de savoir si la société Boot shop pouvait engager la responsabilité délictuelle du bailleur sur le fondement de l’article 1382 du code civil alors que la faute provient de l’inexécution d’une obligation contractuelle. En d’autres termes peut-il y avoir une assimilation entre une faute contractuelle et une faute délictuelle, ou bien faut-il apporter la preuve d’une faute délictuelle envisagée indépendamment de tout point de vue contractuel ?

Pendant longtemps la jurisprudence posait comme exigence que le tiers victime de l’inexécution d’un contrat, apporte la preuve d’une faute délictuelle afin d’obtenir réparation de son préjudice. Dans les années 1990, la première chambre civile de la Cour de cassation, par souci d’assurer aux victimes une protection aussi forte que celle d’un contractant, a petit à petit assoupli cette exigence, pour finalement admettre par principe l’identité des fautes contractuelles et délictuelles. La jurisprudence de la Chambre commerciale quant à elle, est à l’opposé de celle de la première chambre civile formant une scission au sein de la Cour de cassation. En effet, la chambre commerciale considère qu’« un tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution du contrat qu’à la condition que cette inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui ».

La doctrine est également divisée sur le sujet, d’une part, heureusement plus nombreux, les défenseurs du principe de la relativité des contrats (les Professeurs Terré, Simler, Lequette, Jourdain...) et d’autre part, les défenseurs de l’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles (les Professeurs Viney, Aubert...).

En l’espèce, il est évident que le bailleur a commis une faute envers son cocontractant. Néanmoins il est poursuivi par un tiers au contrat. La Haute juridiction considère que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». La
Cour a ainsi tranché le débat, en accordant au tiers victime d’une faute contractuelle, la réparation du dommage, sans qu’il y ait besoin d’apporter la preuve d’une faute délictuelle. Cette décision paraît pertinente dans la mesure où le manquement de l’obligation contractuelle constitue en même temps un manquement à un devoir général de prudence. Ce qui est regrettable, c’est que l’Assemblée plénière ne fasse pas la distinction entre une obligation inhérente au contrat et une obligation qui exprime une norme de comportement qui s’impose en dehors de tout contrat qui pourrait être sanctionnée au visa de l’article 1382 du code civil. Par exemple, s’il s’agit d’une obligation inhérente au contrat, qui ne concerne que les cocontractants il est normal que le tiers ne puisse pas invoquer la faute contractuelle sans apporter la preuve d’une faute délictuelle.

On peut légitimement se poser la question de savoir si cette jurisprudence de l’Assemblée plénière sera maintenue, d’autant plus que ce n’est pas la solution retenue par l’avant-projet de réforme du code civil. En effet, ce dernier prévoit dans l’article 1342 du code civil que « lorsque l’inexécution d’une obligation contractuelle est la cause directe d’un dommage subi par un tiers, celui-ci peut en demander réparation au débiteur sur le fondement des articles 1362 à 1386 du code civil. Il est alors soumis à toutes les limites et conditions qui s’imposent au créancier pour obtenir réparation de son propre dommage ». Cela signifie que le tiers ne se place pas exclusivement sur le terrain délictuel, comme l’a décidé en l’espèce l’Assemblée plénière, mais il sera soumis aux règles du contrat qu’il invoque.

En tout état de cause, les parties au contrat devraient se montrer doublement prudentes concernant l’exécution de leurs obligations contractuelles, attendu qu’elles sont susceptibles d’être attraits devant les tribunaux non pas seulement par leur cocontractant mais aussi par tout tiers au contrat dès lors que ce tiers a subi un quelconque dommage du fait du manquement contractuel. Le droit positif, et c’est le moins que l’on puisse dire, se veut assez protecteur envers les tiers.


Assemblée plénière de la Cour de cassation,
6 octobre 2006 (aff. Boot shop)
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