Dîner débat 2006 : Comment négocier la cession d'un réseau de franchise ?
Pour en débattre, Olivier GAST, Président du CEDRE a fait appel à des intervenants d'horizons et de parcours très dissemblables. Etaient présents, Monsieur Charles SEROUDE, consultant en franchise, architecte de la "méthode VRF de GSP (Valorisation des flux de « royalties' », Monsieur Michel PIGEROL, ex-propriétaire de l'enseigne LYNX OPTIQUE, et Monsieur Jean-Pierre LAVIGNE, Président Directeur Général de ELYTIS EXPANSION.
Deux façons d'appréhender la cession d'un réseau se sont opposées : « les pragmatiques intuitifs » d'un côté et « les rationnels » de l'autre.
Monsieur PIGEROL, a connu une expansion particulière. Il ouvre son premier magasin en 1965 à sa sortie de l'école d'optique et décide de ne placer ses enseignes que dans des centres commerciaux. Ainsi, il implante ses boutiques d'optique dans des centres de l'Ouest parisien tels que Parly 2, ensembles qui tablent sur un standing élevé. Puis, il s'étend dans toute la région parisienne. Il a toujours refusé de s'associer avec un autre opticien car il voulait conserver sa liberté et ne voulait pas rentrer dans un carcan trop dirigiste. Il décide alors de se développer par le biais de la franchise. De cette façon il conserve son autonomie et l'intégrité de son projet d'entreprise orienté vers la qualité, d'où le slogan de sa marque « les opticiens engagés ». Monsieur PIGEROL est à l'origine un artisan qualifié et il n'entend pas brader ce savoir-faire au titre d'une meilleure rentabilité.
De cette façon, malgré certaines difficultés financières en s'obstinant à maintenir ce niveau d'exigence, il acquière une haute image de marque. LYNX OPTIQUE est devenu un gage de qualité. Monsieur PIGEROL se hisse ainsi à la tête d'une quarantaine de magasins dont la majorité est en nom propre. Il est présent sur tout le territoire français, ainsi qu'en Pologne, au Maroc, en Tunisie, en Côte d'Ivoire, en Guadeloupe, en Martinique, et à la Réunion.
Lorsque, pour prendre sa retraite, il entreprend de vendre son réseau il opte pour une méthode relationnelle et non financière. Il a son projet d'entreprise à défendre. La cession de son réseau est passée par la négociation et non par l'analyse bilancielle.1I bénéficie du rachat du réseau AFFLELOU par le géant CARREFOUR. La négociation se fait avec trois acheteurs potentiels sérieux. Il manque de céder pour un prix inférieur de un tiers au prix final, mais la confiance dans son enseigne lui dicte de ne pas courber. Au final, il a obtenu un prix deux fois supérieur aux propositions sérieuses. En effet, la cession devait s'estimer non seulement en fonction des bilans financiers, mais aussi au regard de l'image de marque de l'enseigne et du standing des centres commerciaux dans lesquels étaient implantées les boutiques. En maintenant son image de marque, Monsieur PIGEROL a brillamment contribué à la valorisation de LYNX OPTIQUE, faisant de la cession de son réseau un succès.
Monsieur Lavigne, lors de la cession de son enseigne ELYTIS EXPANSION n'a pas non plus tenu compte d'une méthode financière drastique. Selon lui, il y a trois éléments capitaux dans la cession d'un réseau qui sont: la désirabilité du projet, son emplacement, les opportunités sur le marché pour un concurrent et la cohérence du développement du réseau. Il considère qu'il « faut faire de la valeur pour faire des résultats ».11 décide de ne pas vendre au plus offrant mais au mieux offrant, cédant ainsi son enseigne à DOUGLAS, numéro un en Europe dans la parfumerie qui est à l'origine un chocolatier.
Monsieur LAVIGNE décide d'être libre du choix de son partenaire malgré une autre offre plus élevée immédiate.
En fait, il parie sur l'avenir car il sait que DOUGLAS est un repreneur solide et prospère. En refusant une offre plus haute, certes il sacrifie dix pour-cent de gains mais il évite de licencier une quarantaine de personnes. Ainsi il défend les intérêts des franchisés et de l'équipe en place. Cela ne l'empêche pas de garder une finalité de rentabilité et de résultats. Ce choix lui a permis de conserver la confiance des franchisés. Ces derniers étant satisfaits du choix DOUGLAS, Monsieur LAVIGNE qui est Président Directeur Général d'ELYTIS EXPANSION France va être en mesure de poursuivre son développement au niveau national. Il a joué, comme indiqué précédemment de la désirabilité du projet. Son conseil est de parfaitement connaître ses concurrents et ses franchisés pour céder son réseau dans des conditions optimum. Une cession de réseau opérée sans prendre en compte ses franchisés peut conduire à une fracture irréparable engendrant le départ de ces derniers.
Monsieur SEROUDE, quant à lui, prône une méthode bien plus rationnelle. Il est issu d'un MBA de l'université Stanford où il a appris la franchise. Or, aux Etats-Unis, lorsque l'on achète une entreprise, c'est dans l'optique de la vendre. Dans la franchise, la nouveauté réside dans le fait que c'est le franchiseur qui investit au départ. Le raisonnement est donc de valoriser le financement de départ par un « way out» bien géré. Il a élaboré une méthode appelée "VFR" (valorisation des flux de Royalties). Il est à l'origine de nombreuses opérations de cession très lucratives (Hôtel et Cie, Hédiard, hôtels Mercure, hôtels Balladins, Soleco... ). Dans le rachat d'Orangina par Pernod Ricard il a permis de quadrupler le prix offert. Partant de l'observation de la comptabilité américaine Monsieur SEROUDE a tiré les conclusions suivantes :
-Il faut prendre en compte les actifs corporels de l'entreprise. Ils sont très importants dans un réseau de franchise. (par exemple dans la cadre d'une activité d'épicerie fine le stock de vin détient une valeur importante).
-La méthode d'évaluation par les flux financiers doit être utilisée car la valeur du réseau de franchise est fondée sur la valeur de ces flux.
-Les leviers financiers des réseaux de franchise sont importants et peu connus en France. Or, ils permettent de valoriser un réseau.
-Il est nécessaire de noter les spécificités d'un bilan de franchiseur. Il est important de bien connaître les paramètres de valorisation de la franchise. Il y en a principalement deux: le projet d'entreprise et le projet d'enseigne.
Monsieur SEROUDE a ainsi mis en place des ratio d'évaluation qui comblent les lacunes des ratios traditionnels dont l'application aboutit à une absurdité. Il propose trois méthodes dont il faut ensuite faire la moyenne pour obtenir un résultat optimum, sans oublier d'y appliquer un certain nombre de coefficients minorant ou majorant selon la santé des réseaux et de ses perspectives d'avenir. Ces coefficients dépendent du métier du franchiseur. L'une des méthodes est de prendre la moyenne des royalties encaissées des trois dernières années + 50% de la somme des royalties espérées dans les trois années à venir. Le message est donc de savoir se tourner vers les bons acheteurs industriels ou financiers selon le bilan comptable dont on dispose, et de toujours penser à la sortie en intégrant des paramètres de valorisation. Il ne faut surtout pas attendre que le réseau soit saturé pour décider de céder son réseau.
Olivia Gast