La Franchise à la croisée des chemins
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La franchise qui apparaît aujourd'hui comme une des techniques contractuelles des plus prisées fait l'objet d'un débat doctrinal susceptible de faire perdre de vue l’effet utile du contrat de franchise et plus généralement l'efficience économique recherchée par les parties. La présente étude, publiée en deux parties, propose un éclairage des thèses en présence.
A constater l'effervescence doctrinale contemporaine ayant pour toile de fond le droit des contrats - et plus particulièrement les contrats de distribution intégrée -, un lecteur normalement attentif et avisé aurait la forte impression que se rejoue la querelle des Anciens, tenants d'une sorte de Realpolitik juridique dits «volontaristes », et des Modernes, défenseurs d'un moralo-Iégalisme aussi utopique qu'inconsistant dits « solidaristes ».
L'épicentre de ce séisme doctrinal se situe au sein des contrats de distribution intégrée, et au premier titre, des conventions de franchise, qui peuvent être considérées comme la forme emblématique et la plus aboutie de ce type de distribution.
Cette technique contractuelle met en présence deux commerçants professionnels, par nature juridiquement indépendants
(1). Le premier est détenteur d'un savoir-faire spécifique, éprouvé et réitérable, appuyé sur une marque commerciale. Le second met en œuvre le dit savoir-faire, sous l'égide du franchiseur qui lui fournit une assistance technique continue. Ce savoir-faire est constamment actualisé par le franchiseur, afin de permettre aux franchisés de « réaliser un meilleur impact sur le marché considéré
(2).Ce bref rappel, qui peut sembler superflu, reste nécessaire, Il s'avère même essentiel, du fait de certaines approches jurisprudentielles, relayées et alimentées par le courant doctrinal du «solidarisme contractuel»
(3), lesquelles tendent à vouloir faire application au droit commun des contrats de normes directement issues du droit du travail et du droit de la consommation
(4). La pierre angulaire de ce raisonnement par analogie, qui occulte la spécificité intrinsèque du système de franchise, repose sur les notions de dépendance et de domination, à l'instar des liens qui peuvent se nouer entre professionnels et consommateurs, ou entre employeurs et salariés. Par nature, lit-on ici ou là, les contrats de franchise configurent des rapports de domination à la faveur du franchiseur, le franchisé étant désigné comme la partie la plus faible économiquement et méritant à ce titre un statut protecteur spécifique
(5).Ainsi, il serait désormais indispensable de refonder, de réviser ou, à tout le moins, de rénover la théorie générale des contrats, à la lumière des développements nés de la redécouverte de l'alinéa 3 de l'article 1134 et de l’article 1135 du Code civil. Et ce, afin justement de prendre en compte cette situation de dépendance
(6). La phraséologie employée fait grand cas du terme de « rééquilibrage » des rapports entre franchiseurs et franchisés. Cette thématique du nécessaire rééquilibrage laisse à penser que fondamentalement, les relations continues entre franchiseurs et franchisés sont inégalitaires - ce qu'elles sont effectivement - mais surtout arbitraires et injustifiées, en un mot, injustes. Sur un plan rhétorique, on peut approuver la mission que se sont confiés les animateurs de ce mouvement: se ranger du côté des « faibles » et œuvrer afin que cessent les situations heurtant l'équité la plus élémentaire
(7). Cependant, cette vision généreuse et « humaniste » ne doit pas nous leurrer
(8). Cette entreprise doctrinale a pour effet, même si tel n'est pas son objet, de dénaturer singulièrement le contrat de franchise.
Car ce qui est en jeu n'est autre que l'efficience de ce type de contrat pendant sa période d'exécution, ce que d'aucuns nomment son « utilité» (9). En effet, dans la configuration juridique que les auteurs solidaristes appellent de leurs vœux, une place prédominante est accordée au juge, qui devient une véritable partie au contrat, plus qu'un simple arbitre des intérêts divergents des cocontractants.
Il n'est donc pas indifférent de s'interroger sur la place que le courant solidariste occupe dans la doctrine contemporaine et sur les risques de diffusion que son influence pourrait faire peser, sur le système de la franchise en particulier. Il convient dès lors d'examiner attentivement les théories exposées par les auteurs du courant solidariste pour en cerner à la fois les limites et les excès, ce qui conduira à admettre leur inapplicabilité au régime juridique de la franchise (1). En outre, il est d'une importance cardinale de réaffirmer l'impérieux besoin pour le franchisé d'un consentement donné de manière tout à fait éclairé et l'aspiration légitime à donner à ces conventions particulières leur pleine efficacité, soit « l'effet utile » du contrat de franchise (II).
L'épicentre de ce séisme doctrinal se situe au sein des contrats de distribution intégrée, et au premier titre, des conventions de franchise, qui peuvent être considérées comme la forme emblématique et la plus aboutie de ce type de distribution.
Cette technique contractuelle met en présence deux commerçants professionnels, par nature juridiquement indépendants
(1). Le premier est détenteur d'un savoir-faire spécifique, éprouvé et réitérable, appuyé sur une marque commerciale. Le second met en œuvre le dit savoir-faire, sous l'égide du franchiseur qui lui fournit une assistance technique continue. Ce savoir-faire est constamment actualisé par le franchiseur, afin de permettre aux franchisés de « réaliser un meilleur impact sur le marché considéré
(2).Ce bref rappel, qui peut sembler superflu, reste nécessaire, Il s'avère même essentiel, du fait de certaines approches jurisprudentielles, relayées et alimentées par le courant doctrinal du «solidarisme contractuel»
(3), lesquelles tendent à vouloir faire application au droit commun des contrats de normes directement issues du droit du travail et du droit de la consommation
(4). La pierre angulaire de ce raisonnement par analogie, qui occulte la spécificité intrinsèque du système de franchise, repose sur les notions de dépendance et de domination, à l'instar des liens qui peuvent se nouer entre professionnels et consommateurs, ou entre employeurs et salariés. Par nature, lit-on ici ou là, les contrats de franchise configurent des rapports de domination à la faveur du franchiseur, le franchisé étant désigné comme la partie la plus faible économiquement et méritant à ce titre un statut protecteur spécifique
(5).Ainsi, il serait désormais indispensable de refonder, de réviser ou, à tout le moins, de rénover la théorie générale des contrats, à la lumière des développements nés de la redécouverte de l'alinéa 3 de l'article 1134 et de l’article 1135 du Code civil. Et ce, afin justement de prendre en compte cette situation de dépendance
(6). La phraséologie employée fait grand cas du terme de « rééquilibrage » des rapports entre franchiseurs et franchisés. Cette thématique du nécessaire rééquilibrage laisse à penser que fondamentalement, les relations continues entre franchiseurs et franchisés sont inégalitaires - ce qu'elles sont effectivement - mais surtout arbitraires et injustifiées, en un mot, injustes. Sur un plan rhétorique, on peut approuver la mission que se sont confiés les animateurs de ce mouvement: se ranger du côté des « faibles » et œuvrer afin que cessent les situations heurtant l'équité la plus élémentaire
(7). Cependant, cette vision généreuse et « humaniste » ne doit pas nous leurrer
(8). Cette entreprise doctrinale a pour effet, même si tel n'est pas son objet, de dénaturer singulièrement le contrat de franchise.
Car ce qui est en jeu n'est autre que l'efficience de ce type de contrat pendant sa période d'exécution, ce que d'aucuns nomment son « utilité» (9). En effet, dans la configuration juridique que les auteurs solidaristes appellent de leurs vœux, une place prédominante est accordée au juge, qui devient une véritable partie au contrat, plus qu'un simple arbitre des intérêts divergents des cocontractants.
Il n'est donc pas indifférent de s'interroger sur la place que le courant solidariste occupe dans la doctrine contemporaine et sur les risques de diffusion que son influence pourrait faire peser, sur le système de la franchise en particulier. Il convient dès lors d'examiner attentivement les théories exposées par les auteurs du courant solidariste pour en cerner à la fois les limites et les excès, ce qui conduira à admettre leur inapplicabilité au régime juridique de la franchise (1). En outre, il est d'une importance cardinale de réaffirmer l'impérieux besoin pour le franchisé d'un consentement donné de manière tout à fait éclairé et l'aspiration légitime à donner à ces conventions particulières leur pleine efficacité, soit « l'effet utile » du contrat de franchise (II).
1 - Les limites et les excès d'une construction juridique, philosophique et sociologique: le solidarisme contractuel
Le corpus théorique, que constitue le solidarisme contractuel, vise essentiellement à refonder le droit des contrats sur des bases plus accueillantes pour la justice entre les parties (A). Ces thèses, en dépit des nuances apportées par leurs auteurs, restent marquées par certains présupposés et affectées par de profondes insuffisances, de sorte qu'elles doivent être accueillies avec réserve et prudence (B).
A - Le manifeste solidariste
Les thèses solidaristes se nourrissent de références multidisciplinaires: philosophiques (Aristote via Saint Thomas d'Aquin (10)), sociologiques (E. Durkheim et M. Mauss) et juridiques (L. Bourgeois, R. Démogue) (11). Elles ont pour posture de se démarquer très nettement des thèses classiques, dites volontaristes. C'est essentiellement le« dogme » de l'autonomie de la volonté qui est dénoncé avec force, pour les conséquences injustes qu'il imposerait à de nombreux cocontractants placés en situation de« faiblesse », lors des négociations. Cette critique véhémente et vigoureuse a pour corollaire la remise en cause de la force obligatoire des contrats. Le principe énoncé à l'article 1134, alinéa premier du Code civil, devrait être aménagé à la lumière de la bonne foi et faire place à d'autres principes tels l'équité, la loyauté et la proportionnalité. En effet, dans ces théories, le contrat doit redevenir le siège, ou à tout le moins, l'instrument privilégié d'une justice perdue entre les cocontractants.
1 - Le rejet du dogme de l'autonomie de la volonté: un mauvais procès
Selon les solidaristes, « la volonté individuelle ne peut plus être une pure puissance créatrice, pas plus qu'elle n'est en mesure de modeler seule les effets de droit qu'elle engendre» (12). Il ne s'agit pas « (...) d'en finir avec la liberté contractuelle en déniant tout rôle à la volonté individuelle: il s'agit simplement de contester son autonomie en la soumettant à certaines exigences sociales censées lui être supérieures » (13). Il faut donc abandonner « (...) l'image d'Epinal du contrat, fruit de la volonté des parties » (14). VOICI le renversement total de perspective proposé.
En réalité, ce renversement nous semble bien peu ... renversant. Dans la doctrine contemporaine, le principe de l'autonomie de la volonté érigé en « dogme » ne peut plus guère être soutenu de façon sérieuse, du fait des encadrements législatifs et Jurisprudentiels dont les contrats ont fait l'objet dès l'origine.
Les rédacteurs du Code civil ont en effet imposé un cadre bien défini à l'expression de la liberté contractuelle des parties. Cet encadrement est constitué de dispositions structurelles qui intéressent l'ordre public lato sensu, et de dispositions comportementales relatives au principe de nullité des conventions qui sanctionnent les vices du consentement. Ces thèmes sont trop connus pour nous livrer ici à une énième ratiocination. Retenons-en simplement, concernant l'ordre public, la définition sélectionnée par Monsieur le Professeur Ghestin « qui exprime sans doute
En réalité, ce renversement nous semble bien peu ... renversant. Dans la doctrine contemporaine, le principe de l'autonomie de la volonté érigé en « dogme » ne peut plus guère être soutenu de façon sérieuse, du fait des encadrements législatifs et Jurisprudentiels dont les contrats ont fait l'objet dès l'origine.
Les rédacteurs du Code civil ont en effet imposé un cadre bien défini à l'expression de la liberté contractuelle des parties. Cet encadrement est constitué de dispositions structurelles qui intéressent l'ordre public lato sensu, et de dispositions comportementales relatives au principe de nullité des conventions qui sanctionnent les vices du consentement. Ces thèmes sont trop connus pour nous livrer ici à une énième ratiocination. Retenons-en simplement, concernant l'ordre public, la définition sélectionnée par Monsieur le Professeur Ghestin « qui exprime sans doute
___________________________________________________________________________________ 1) C'est là même un élément prépondérant de ce type de contrat: voir par exemple les développements consacrés sur ce point par J-M. Leloup, Droit et pratique de la franchise, Delmas. 1983, 1ère éd., 83.
2) Cour d'appel de Paris du 20 avril 1978, Cahiers de droit de l'entreprise, 1980, n°5, note JM. Leloup.
3) Le courant doctrinal du solidarisme contractuel trouve ses hérauts en la personne des professeurs Ch. Jamin et O. Mazeaud; voir, pour l'illustration la plus typique: Christophe Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel». Le contrat au début du XXème siècle, Etudes offertes à Jacques Ghestin, p. 441 .
4) Philippe Jestaz, « Rapport de synthèse, Quel contrat pour demain? » La nouvelle crise du contrat, acte du colloque du 14 mai 2001, Dalloz, 2003 p. 250 et s.
5) Voir par exemple G. Virassamy, Les contrats de dépendance, Essai sur les activités professionnelles exercées dans une dépendance, Thèse Paris 1, 1985, LGDJ, 1986: J. Ghestin, Traité de droit civil, la formation du contrat, LGDJ, 3ème édition, 1993, n• 67 et S., Ch. Jarnin, " La recherche de nouveaux équilibres .entre Ies parties dans les réseaux intégrés de distribution
6) Voir notamment en ce sens C. Thieberge-Guelfucci,« Libres propos sur ta transformation du droit des contrats », RTD. Civ., n° 2/1997, pp. 357-385.
7) Ph. Jestaz, cc
8) D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité: la nouvelle devise contractuelle? », Mélanges Terré. p.603.
9) Voir en ce sens, notamment, J. Ghestin, Traité de droit civil, la formation du contrat, « La conciliation par le droit objectif de l'utile et du juste », préc. p. 200 et s. ; L. Boy, « Les " utilités" du contrat » préc.
10) Aristote et St Thomas d'Aquin sont régulièrement convoqués pour éclairer la généalogie du principe de «justice commutative », que les thèses solidaristes aspirent â voir appliqué au sein du monde contractuel. Voir pour une synthèse de ces éléments L. Cadiet, « Une justice contractuelle, l'autre» in « Le contrat au début du XXlème siècle
», Etudes offertes à Ghestin prée., p. 183 et s.
11) Voir ainsi Ch. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel» in « Le contrat au début du XX/ème siècle », Etudes offertes à Ghestin prée., p.441.
12) Ch. Jamin. « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », préc., p. 447.
13) Ibid. p. 448.
14) D. Mazeaud. « Constats sur le contrat, sa vie. son droit », PA, n° 54, 6 mai 1998, p. 8.
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