La Franchise à la croisée des chemins




3 - Plaidoyer pour l'efficacité du contrat: pour une vision adossée à la cause

La jurisprudence annule pour absence de cause les contrats de franchise lorsque le franchiseur ne peut faire la preuve qu'il détient un savoir-faire substantiel. La Cour de Cassation a ainsi pu juger que devait être annulée une convention de franchisage sur le fondement de l'article 1131 du Code civil, pour défaut de cause, en l'absence des éléments essentiels caractérisant cette convention (licence d'enseigne, savoir-faire reconnu, secret et réitérable, assistance permanente) (95),

Il faut en déduire qu'au sein des conventions de franchise, tout déséquilibre n'est pas à rechercher et à éliminer, tant ces « déséquilibres» constituent souvent l'expression et la conséquence de la cause du contrat lui-même, et sont nécessaires à l'intégration des franchisés au sein du réseau, Et en fait de déséquilibre, terme que nous  récusons pour caractériser la formation et l'exécution du contrat de franchise, nous l'avons vu, nous nous proposons d'y substituer notre concept de « différenciation fonctionnelle »  celui-ci rendant parfaitement compte des relations complexes, continues et finalisées que les parties entretiennent. Certains auteurs soulignent avec justesse que l'annulation pour absence de cause a pour vocation « de sanctionner l’absence d’utilité du contrat, plus que, plus que la simple disproportion ou le déséquilibre » (96).

Dans les contrats synallagmatiques commutatifs, auxquels appartiennent les conventions de franchise, la cause de chaque obligation réside dans la contre-prestation de l'autre partie (versant objectif de la cause que nous nommerons cause catégorielle), ainsi que dans les avantages et profits attendus de ces prestations réciproques pour l'ensemble des obligations (versant subjectif de la cause que nous appellerons cause finale), Si bien que la cause existe dès lors qu'il existe une contrepartie réelle, quand bien même cette contrepartie ne serait pas égale en valeur, dans la limite où celle-ci n'est pas dérisoire ou seulement symbolique, et ce, afin que la cause finale soit atteinte. Il en ressort que les éléments de la cause catégorielle se révèlent des instruments, des moyens participant de la cause finale.

On décèle bien quelle est la clause catégorielle d’un contrat de franchise: le franchiseur fournit une licence d’enseigne et/ou de marque, transmet un savoir-faire et veille à son application la plus efficace. Le franchisé verse en contrepartie des droits d'entrée, des royalties et accepte d’être conseillé, dans la gestion quotidienne de son unité, par le franchiseur, ainsi que de bénéficier de l’assistance permanente de ce dernier. Pour le franchiseur, la cause finale réside quant à elle dans l'accroissement de la taille du réseau et subséquemment de la notoriété de l’enseigne. Pour le franchisé, elle consiste à profiter du support stratégique et logistique d’un réseau commercial structuré, dans la perspective d'un retour sur investissements supérieur à celui qu'il obtiendrait à titre de commerçant individuel.

Dans ces conditions, lorsqu’il manque l'un de ces éléments fondamentaux, il est naturel de considérer qu’une convention est réellement déséquilibrée, de manière structurelle. Le contrat perd dès lors son effet utile. En effet, en l'absence de ces éléments participant de la cause catégorielle du contrat de franchise, il n'est pas certain que les objectifs qui présidaient à la conclusion du contrat puissent être atteints. Dès lors, les « déséquilibres » qui ne sont que l’expression de la différenciation fonctionnelle et la « domination » du franchiseur qui n'est autre que l’encadrement de l'autonomie du franchisé, ne doivent pas être combattus en eux-mêmes, à moins de ruiner la convention de franchise tout entière, Ils doivent au contraire être appréhendés et reconnus comme utiles à l'exécution la plus efficace du contrat  de franchise.

Cette optique n'exclut pas par ailleurs que le juge sanctionne les abus de comportement des franchiseurs, lorsque le contrôle se mue en une immixtion et que les contrats n'ont de franchise que le nom parce que les prestations des franchiseurs sont inexistantes ou viles, et par-là même inaptes à donner une cause à la conviction. Celle vision n'exclut pas non plus que le juge puisse sanctionner, au vu du principe de bonne foi de l'article 1134, alinéa 3, certains comportements manifestement déloyaux du franchiseur et considérer comme abusif un non-renouvellement de contrat dans certaines circonstances particulières. Cette appréciation à effectuer au cas par cas ne saurait pour autant participer à un principe général d'évaluation de l'équilibre du contrat.

Ainsi, au critère subjectif de « bonne foi » et de« loyauté» mis en oeuvre par le juge dans le cadre contentieux, nous proposons que celui-ci substitue un critère objectif, fondé sur la cause. En ce sens, serait réellement déséquilibrée et inefficace, privé d'effet utile, toute convention où les éléments objectifs (cause catégorielle) et subjectifs (mobile déterminant, cause finale) ne seraient ni apportés, ni mis en oeuvre ni pleinement actualisés. Cette solution présente le mérite de faire porter l'examen du juge sur des éléments vérifiables el relativement stables, qui sont les mêmes pour la catégorie du contrat de franchise, c'est dire que l'examen du juge guidé par la cause du contrat de franchise permet de concilier l'impérieux besoin de sécurité juridique, en évitant l'arbitraire des solutions prétoriennes fondées SUI' l'exigence de bonne foi de l'article 1134, alinéa 3, tout en 1ermettant de corriger les véritables dysfonctionnements qui affectent les contrats de franchise. La prévalence de cette conception dans l'évaluation de l'économie générale dans contrats de franchise permettrait en outre de satisfaire le souci de justice contractuelle, dit encore justice commutative et souhaitée par les solidaristes. Car, en donnant à chacun son dû, répartition que permet la cause des contrats de franchise, on retrouve l'expression du « to dikaiôn » aristotélicien, garant de l'équilibre contractuel (97).


Olivier Gast Avocat à la Cour d'Appel de Paris

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95) Cass. comn., 9 octobre 1990, n° 89-13,384,

96) M. Behar-Touchais, G. Virassamy prée. n° 182 précisant que « Si on laisse de c6té ces nullités pour absence de cause, il est permis de penser qu'If n'est pas opportun de sanctionner par la nullité les simples déséquilibres du contrat de distribution  intégrée, eux-mêmes non condamnés par le droit de la concurrence.  En effet, il faut tenir compte du fait que Si le contrat de distribution est un contrat, de dépendance, il comporte par essence des clauses déséquilibrées. Cela fait partie du mécanisme d'intégration. Puisque les déséquilibres les plus nocifs sont éliminés par le droit de la concurrence, aller plus loin, c'est-à-dire procéder à un véritable contrôle des clauses abusives dans le contrat de distribution, reviendrait à méconnaître l'essence même du dit contrat et sans doute à l'empêcher d'atteindre l'objectif d'intégration poursuivi. C'est en cela que l'on peut dire qu'un contrôle généralisé des clauses abusives dans le contrat de distribution serait lui-même disproportionné. Supprimer tout déséquilibre lors de la formation serait porter atteinte à l'essence d'un contrat de distribution en réseau, dont l'objectif d'intégration suppose le déséquilibre ». Si nous sommes d'accord avec l'idée exprimée, nous déplorons pourtant la persistance des termes de« déséquilibre ».

97) M, Villey, Philosophie du droit, Dalloz, 2001.
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