La Franchise à la croisée des chemins




II - L'inapplicabilité des thèses solidaristes au contrat de franchise: la justice contractuelle au travers de « l'effet utile»

Il convient certainement de ne pas s'égarer dans une conception maximaliste du principe de l'autonomie de la volonté, et de son corollaire, la liberté contractuelle absolue. Est-ce à dire pour autant qu'il faille renoncer à la liberté des parties de fixer, par et pour elles-mêmes, les règles qu'elles entendent suivre dans le respect de la loi, et de se réjouir de l'audience grandissante des thèses solidaristes devant les prétoires et dans la doctrine? Nous ne le pensons pas, spécialement à l'endroit des contrats franchise, terrain d'élection des auteurs solidaristes.

Il importe par conséquent de rappeler fermement les fondements juridiques et surtout les modalités de fonctionnement des réseaux de franchise, auxquels organisation hiérarchisée et inégalitaire ainsi que primauté économique du franchiseur demeurent des caractéristiques inhérentes. Loin d'être illégitimes et arbitraires, ces caractéristiques sont bien au contraire parfaitement finalisées et fonctionnelles (A), s'appuyant sur la cause même de la franchise pour donner au contrat de franchise toute sa plénitude, garante de l'équilibre des parties (B).



A - Primauté économique et différenciation fonctionnelle: la franchise est un mode d'organisation

Le franchisage n'est pas simplement et exclusivement un mode de distribution de produits et/ou de prestation de services, mais, comme l'a relevé avec justesse la Cour de Justice des Communautés européennes dans son arrêt pronuptia (72), constitue avant tout un mode d'exploitation financier d'un ensemble de connaissances, dans le cadre d'une organisation spécifique, élaborée et contrôlée par le franchiseur plaçant inévitablement ce dernier dans une position prépondérante au sein des contrats.
Cette prééminence trouve sa traduction matérielle dans l'organisation même du réseau, marquée par la nécessaire verticalité des relations franchiseur/franchisés.
Cette verticalité ne saurait remettre en cause l'indépendance du franchisé en tant que commerçant mais intègre celui-ci à une structure dans laquelle les fonctions des uns et des autres sont fortement différenciées afin que chacun soit en mesure d'exécuter les obligations qui lui incombent conventionnellement.


1 - La nécessaire primauté économique du franchiseur

L'exigence d'indépendance des franchisés, réalité contrôlée par les tribunaux, ne doit pas cacher que, dans le même temps, ce type de contrat a pour effet d'instaurer la prééminence du franchiseur pendant la durée de l'exécution dudit contrat. Mais la consécration prétorienne de l'indépendance juridique du franchisé, qui conserve sa qualité de commerçant et d'entreprise, conduit à rejeter le terme de « domination " que certains lui reconnaissent, au profit du terme plus neutre, mais bien réel, de « primauté».

Il ne s'agit pas là d'une simple bataille de mots. A la fois contrat de réitération et produit financier, la convention de franchisage permet au franchiseur d'amplifier dans l'espace un succès commercial par le biais d'une structure dont la gestion est en partie décentralisée. Par-là même, le franchiseur valorise sa marque et se trouve en mesure de fédérer et de fidéliser une clientèle autour du réseau. Le franchisé, commerçant indépendant, bénéficie de l'image de marque du franchiseur, de son savoir-faire (73) et de son assistance technique, lesquels lui procurent un avantage concurrentiel et stratégique, vecteur d'économies d'échelle (74).

Pour que le succès se répète, on comprend que le franchiseur doive obliger le franchisé à appliquer le plus fidèlement possible un concept élaboré et fréquemment actualisé par le franchiseur. Mais, avant de transmettre ce concept économique, commercial et marketing, le franchiseur doit lui-même s'assurer que celui-ci est bien en mesure de procurer l'avantage concurrentiel nécessaire à l'efficacité du contrat et au succès des membres du réseau. Ainsi, le concept faisant l'objet de la convention de franchisage, encore dénommé « l'idée commerciale »(75), doit avoir été expérimenté et standardisé au sein d'unités pilotes pour que soit assurée sa réitération (76).

Une fois le concept dûment élaboré et uniformisé, le franchiseur doit encore s'assurer que celui-ci est correctement mis en œuvre. En effet, «
    soit vérifiée par le franchiseur. Le caractère très strict de cette vérification ne porte pas atteinte à l'indépendance du franchisé» (77). C'est à partir de cette prérogative de contrôle de l'exactitude de la réitération du concept transmis qu'il convient de rechercher à notre sens le fondement premier mais surtout la justification de la primauté du franchiseur sur les franchisés membres du réseau. Le franchiseur ne peut en effet se permettre l'approximation et risquer la dilution du concept élaboré par une application hasardeuse du système de méthodes techniques et commerciales opérationnelles ayant contribué au succès des unités pilotes.


    2 - La manifestation de la primauté économique: une structure verticale de pouvoir au sein du réseau

    La prééminence économique du franchiseur produit une conséquence directe sur l'organisation du réseau. C'est le franchiseur qui, détenteur des éléments constitutifs essentiels aux conventions formées (savoir-faire, marque, assistance permanente), crée une structure au sein de laquelle les franchisés sont regroupés sous son égide.
    Il incombe en effet au franchiseur non pas seulement de constituer le réseau, mais encore et surtout, d'animer, de piloter et de faire évoluer celui-ci. Ainsi, du fait des caractéristiques juridique inhérentes à ce type de convention, le franchiseur est amené à jouer au sein du réseau plusieurs rôles complémentaires, quoi que distincts,. Nous avons eu l'occasion de théoriser ces différentes fonctions du franchiseur qui doivent être réunies pour élaborer un « savoir-faire organisationnel » : marketing-concept, développeur de réseau, animateur de réseau, logistique et gestionnaire-leader (78).

    C'est la combinaison des éléments constitutifs du savoir-faire organisationnel qui justifie la prééminence du franchiseur au sein du réseau, dont il prend nécessairement la tête, et par-là, légitime l'organisation verticale qui reste seule à même d'assurer la mise en oeuvre efficiente de 'e savoir-faire. En effet, c'est là l'évidence, la seule transmission des connaissances techniques reste insuffisante pour assurer le succès d'une franchise. Bien au contraire, c'est l'élaboration, l'actualisation et le transfert de ce savoir-faire organisationnel, couplé au savoir-faire conceptuel originel, qui fonde véritablement la verticalité des relations entre franchiseur et franchisés.


    3 - Des partenaires juridiquement indépendants et fonctionnellement interdépendants: la différenciation fonctionnelle

    Un contrat de franchisage a pour effet  de donner lieu à la constitution d'un réseau de distributeurs agrées et partiellement intégrés (79). Mais, à la différence du succursalisme par exemple, « le franchiseur traite avec des entreprises qui, comme lui, à un niveau plus modeste que lui certes, mais pour un poids relatif peut-être plus lourd, ont engagé leur capital, risquent de le perdre, mais courent légitimement l'aventure de la libre entreprise » (80). L'indépendance juridique des franchisés s'exprime de plusieurs façons pendant la durée de l’exécution du contrat.

    D'abord, le franchisé maitrise les éléments constitutifs de son entreprise. A ce titre, c'est lui seul qui dispose de la capacité de conclure les contrats nécessaires à l'exploitation de son unité; bail, assurance, achat de matériel, recrutement de personnel. En outre, concernant la propriété de la clientèle dans les réseaux de franchise, on sait que la Cour de Cassation a récemment mis fin à une vive controverse avec l'arrêt Trévisan du 27 mars 2002 (81). En effet, au terme de divers tâtonnements jurisprudentiels, il a été jugé que" (...) si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du franchiseur, la clientèle locale n'existe que par le fait des moyens mis en œuvre par le franchisé
      , que cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque, même si celui-ci n'est pas propriétaire de la marque et de l'enseigne mises à sa disposition pendant l'exécution du contrat de franchise, elle est créée par son activité
          il met en œuvre à ses risques et périls » .

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          72) CJCE, 28 janvier 1986, Pronuptia, aff. 161/84, Rec. 1986, p. 353; la CJCE s'est manifestement inspirée de ra loi américaine sur l'information précontractuellequi définit le système du franchisage comme un «produit financier» (Full Disclosure Law de 1978). Voir en ce sens O. Gast. « La clause d'exclusivité territoriale est-elle essentielle au
          contrat de franchise », préc. p. 29.

          73) Le savoir-faire peut être défini selon J-M. Leloup in La franchise, droit et pratique, Delmas, 2000, n° 349 comme un « Ensemble finalisé de connaissances pratiques, transmissibles, non immédiatement accessibles au public, non brevetées et conférant à celui qui maîtrise cet ensemble un avantage concurrentiel »

          74) Voir en ce sens Cass. Cam., 13 juillet 1966, JCP 1967, 15131; cet arrêt précise que le savoir-faire est constitué d'un « ensemble de procédés ingénieux, d'importance mineure et non brevetables sont de nature a conférer un caractère plus compétitif a l'entreprise qui en est détentrice ».

          75) Voir en ce sens O. Gast, « De la protection de l'idée commerciale dans un réseau de franchise », PA, juin 1993 et « La reconnaissance jurisprudentielle de l'idée commerciale et sa protection », PA octobre 1993.

          76) O. Gast. « La règle des Trois-Deux », Franchise Magazine, 15juillet 1982.

          77) J-M. Leloup préc. n° 1212.

          78) O. Gast « Plaidoyer pour une révision de la notion de savoir-faire en matière de franchise: du «savoir-faire» au« savoir-réussir» », PA, n° 132, 3 novembre 1995, p. 206.

          79) Ph. Le Tourneau, in «Franchisage», Juris Classeur commercial, Fascicule 1045, août 1998, n°5, indique ainsi: « L'expression d'intégration est plus imagée que réelle. D'une part, sauf dans quelques types de réseaux, l'intégration n'est pas complète de la production a la distribution. D'autre part, l'intégration au sein de l'unité est rarement
          absolue: les distn'buteurs du réseau conservent toujours une certaine autonomie. En revanche, il est convenable de parler de distribution distinctive, marquant par là que chaque réseau est agrégé sous une enseigne unique». Nous préférons considérer pour noIre part le franchisage d'abord comme un mode d'organisation, en suivant la définition donnée aux contrats de franchisage par la CJCE dans son arrêt Pronuptia précité, sans en nier l'aspect de distribulion.

          80) Leloup J-M. préc., n°1201, p. 219.

          81) Casso civ., 3- chambre, 27 mars 2002, n° 00-20.732.


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