De la protection de l'idée commerciale dans un réseau de franchise
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L'idée, abstraite par essence, ne fait l'objet d'aucune protection. En effet, traditionnellement, aucun droit privatif ne peut être attribué à son auteur pour une Idée. Cela s 'explique notamment par le fait que l'Idée est fugitive et Immatérielle, et peut difficilement faire l'objet d'une appropriation.
Une évolution s'est pourtant dessinée avec le développement de la publicité, l'idée publicitaire ayant une valeur économique. Sa protection n'est reconnue par la jurisprudence qu'à condition que son originalité soit démontrée et que sa reproduction puisse entrainer une confusion dans l'esprit du public. Pourtant, une idée a souvent une importance cruciale pour l'entreprise, quelle que soit sa forme. L'idée, élément incorporel est à la base de la réussite d'un réseau de franchis. Ce savoir-faire, condition de l'existence d'un contrat de franchise, est désormais complété par une mise en scène, une présentation, une ambiance spécifiques, bref, une idée commerciale. On reconnaît par ailleurs une valeur économique. qui apparut dans le bilan de l'entreprise, au savoir-faire, transmis au franchisé.
La reconnaissance de la valeur économique de l'idée publicitaire et du savoir-faire, devait nécessairement aboutir à une reconnaissance officielle et donc à la protection de ce qui l'accompagne, qui en fait partie : l'idée commerciale.
I. La reconnaissance de la valeur économique et l'idée commerciale
1. Le jugement Chevignon : "enfin" !
Par jugement en date du 23 mars 1992, le Tribunal de commerce de Paris a reconnu la valeur économique et la nécessaire protection de « l'idée commerciale ».
En reprenant à son compte la jurisprudence qui reconnaît « de plus en plus que l'idée commerciale représente une importante valeur économique et que le pillage des idées commerciales est source d'injustice et de désordre », le Tribunal de commerce de Paris donne satisfaction à tous les membres de réseaux et notamment aux franchiseurs pour qui l'idée commerciale est un élément fondamental.
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Le développement de la franchise, des réseaux intégrés, et des nouveaux modes de distribution a mis en exergue l'absence de protection efficace et les défaillances des systèmes de protection traditionnels. En effet, au-delà d'une marque, d'un modèle, le réseau met en place d'autres éléments d'identification qui, jusqu'à aujourd'hui, n'étaient pas encore protégeables.
Les entrepreneurs seront satisfaits de ce Jugement. Ils verront en effet leurs efforts et leurs investissements recevoir une protection que l'on espère efficace. II est en effet indéniable que l'originalité de certains réseaux ne provient plus exclusivement de la marque ou des modèles proposés mais aussi:
- une façon de vendre une combinaison de détails captée par l'observation et la volonté de l'entrepreneur,
- une façon de présenter les produits qui n'est pas protégeable selon les règles du droit commun, le service apporté venant mettre en valeur le produit
Cette reconnaissance s'inscrit dans le mouvement jurisprudentiel qui reconnaît aujourd'hui une valeur économique au savoir-faire, son transfert étant rémunéré par une redevance voire un droit
d'entrée dans les réseaux de franchise.
La reconnaissance de l'idée commerciale apportera ainsi plus de sécurité aux créateurs confrontés aux fréquents pillages et parasitismes auxquels doivent faire face l'ensemble des réseaux et qui n'ira qu'en s'accroissant dans l'Europe de demain.
Il est en effet de plus en plus fréquent de voir apparaître dans le cadre de réseaux de franchise de service, des concurrents qui essaient de capter la clientèle en copiant la présentation ou l'organisation d'un point de vente qui constituent l'originalité du réseau et qui font partie intégrante du savoir-faire du franchiseur.
Reconnaître l'idée commerciale, c'est tenter de lui donner une définition juridique précise, afin de lui reconnaître une réelle valeur économique. En effet, le producteur ou « distributeur» doit protéger son succès. L'idée commerciale est en effet protégeable parce qu'elle aboutit à une réalisation, à une réalité cohérente, génétrice de chiffres d'affaires et de profit.
Cependant, il s'agit bien d'une idée encore dans certains cas, comme en l'espèce où il s'agit d'une ambiance, créée autour d'une intuition, d'une vision du monde ou de la société au même titre que la publicité bien qu'elle ne se réduise pas à cette seule notion.
2. Notion d'idée commerciale
Un réseau de franchise implique une standardisation des points de vente ou de distribution afin de permettre une réussite commerciale qui est à l'origine du développement.
Cette standardisation est essentielle à la mise en place du savoir-faire du françhiseur.
La naissance d'une image de marque qui nécessite tant d'énergie et d'investissement correspond aujourd'hui à une richesse, à un capital: l'image de marque dans les rouages du réseau intégré est devenue le moteur du système, l'objet à atteindre pour la réussite à long terme de l'entreprise.
L'idée commerciale et ses conséquences concrètes permettent de donner une identité au réseau de franchise. Cependant. l'idée commerciale ne se réduit pas à un plan de marketing ponctuel ou même général.
La présentation, l'organisation d'un magasin, son aménagement intérieur, les modalités spécifiques de vente sont autant d'éléments qui font partie intégrante du savoir-faire du franchiseur. Ils sont sans
conteste, le résultat et la concrétisation de l'idée qu'a eu le franchiseur à l'origine.
La transmission d'un savoir-faire identique à l'ensemble des franchisés implique également l'uniformisation du réseau ainsi que le respect de la qualité des standards du système.
Bien plus, au-delà d'une enseigne commune, le rattachement de la clientèle se fait par la cohérence du réseau qui comprend non seulement une identité de produit et de modalités de vente, mais aussi une identité d'organisation et de présentation des points de vente: le SIV (système identification visuelle).
Ces éléments indispensables à la pérennité et au succès du réseau de franchise sont autant de réalisation concrète de l'idée commerciale. Mais cel1e-ci semble englober également des éléments qui restent abstraits tout en permettant une identi1ication du réseau.
Ainsi, en l'espèce, le tribunal de commerce reconnaît « que l'idée novatrice sur le plan commercial de Chevignon a été de lancer ses modèles sur le marché avec un style publicitaire recréant à l'instar des fabricants de cigarettes. La manière de vivre décontractée et sportive que les publications américaines affichaient dans les années 1950 ».
Les magistrats reconnaissent en effet « que c'est cette idée commerciale qui représente une importante valeur économique pour Chevignon et non pas la conception des modèles de veste, dont l'originalité ne peut être démontrée par la requérante ». Ainsi, la jurisprudence reconnaît la valeur économique de l'idée originale qu'a eu le franchiseur pour lancer son produit.
Ainsi, au-delà d'une définition traditionnelle, les magistrats prennent en compte des éléments qui, bien qu'ils aient une nécessaire réalisation, restent du domaine de l'idée, de l'imaginaire. Créer un univers ne se réduit pas à des réalisations concrètes.
La spécificité (et non forcément l'originalité), l'efficacité de l'idée commerciale devront être prouvées afin d'obtenir la condamnation de l'auteur des actes de concurrence déloyale.
II. Les conditions de la protection commerciale
1. Des conditions générales
Au même titre que l'idée publicitaire, la marque ou le brevet, l'idée commerciale ne sera protégée qu'à la condition d'être originale et spécifique, c'est-à-dire qu'elle ne puisse être attribuée à un ensemble de réseaux différents.
L'attribution de l'idée devra être suffisamment claire pour que son imitation puisse être condamnée.
2. Une nécessaire formalisation
Le savoir-faire, auquel on attache aujourd'hui une valeur économique importante fait l'objet d'une rédaction dans un manuel opératoire, plus communément dénommé « bible », transmis lors de la signature du contrat de franchise.
Cette formalisation permet d'établir son existence, son originalité et de l'attribuer à son créateur.
De même, l'idée commerciale, afin qu'une valeur économique lui soit reconnue et qu'elle soit protégée, devra être formalisée.
Apporter la preuve de la spécificité et de l'identité de l'idée commerciale suppose donc une certaine formalisation du savoir-faire qui est aujourd'hui défini et détaillé dans les manuels opératoires.
Cette formalisation permettra de déterminer le véritable auteur de l'idée commerciale et donc de prouver son antériorité, son contenu et son originalité. De même cela lui apportera une certaine consistance et donc une va1eur économique plus grande. Il s'agit pour l'entrepreneur de formaliser un élément incorporel ainsi que l'ensemble des procédures au sein de son entreprise afin de le protéger et donc de le valoriser.
Ainsi, avec le principe de standardisation de ces procédures, il est possible d'apporter la preuve de la valeur de cette idée commerciale.
C'est sur le fondement de ce manuel et sur la preuve de l'originalité de l'idée commerciale que son auteur pourra obtenir réparation du préjudice subi en cas d'imitation. L'idée commerciale. ne pourra cependant faire l'objet d'un réel « droit privatif » et seule une action en concurrence déloyale permettra d' obtenir réparation.
Le commerce contemporain accorde une grande importance à l'apparence externe interne de
l'entreprise, à ses méthodes de vente, la présentation matérielle de ses produits. Ce sont autant
d'éléments qui appartiennent à l'idée commerciale compris comme un ensemble, une politique de distribution et qui pourront être protégés.
L'entreprise voit ainsi. Au-delà de ses produits et de son caractère industriel, ses idées, « sa matière grise » protégée.
Afin de garder toute sa valeur à ce nouvel élément de protection, il conviendra pour le franchiseur ou le producteur de ne pas l'invoquer à tort et à travers. En effet, il conviendra de démontrer à l'instar des autres éléments de protection juridique une spécificité, une substantialité, une antériorité et une notoriété de l'idée commerciale.
Ce n'est qu'à ces conditions que cel1e-ci sera protégée et en cas d'imitation pourra donner lieu à réparation.
Ainsi, il sera plus difficile aux concurrents peu scrupuleux d'utiliser l'image de marque constituée par des éléments du savoir-faire spécifique et qui jusqu'à aujourd'hui n'étaient pas protégés.
On peut espérer que les magistrats iront plus loin encore en reconnaissant que l'organisation, la présentation et l'aménagement d'un point de vente constituent une idée commerciale protégeable, les composantes ayant une valeur économique certaine au même titre que les modalités de vente et de gestion reconnues originale dans l'affaire Chevignon.
Cette évolution jurisprudentielle permettra de lutter contre le pillage et la concurrence déloyale, et ainsi favoriser le développement des P.M.E. Dans le secteur des services.